La Maladie

La sclérodermie est une maladie rare. Peuvent survenir des manifestations viscérales, en particulier vasculaires périphériques, digestives, cardio-pulmonaires et rénales. Elle se caractérise par des anomalies de la microcirculation (plus rarement de la macrocirculation, mais cet aspect est encore débattu) et des lésions de fibrose cutanée et/ou viscérale. Les lésions de sclérose cutanée peuvent être modestes, distales (doigts notamment) et au niveau du pourtour buccal ou étendues au-dessus des coudes et des genoux, ou plus rarement atteindre le tronc, l’abdomen. Il existe des formes rares, sans atteinte cutanée, appelées « sine scleroderma ».

Le pronostic dépend essentiellement de la survenue d’atteintes viscérales et plus particulièrement d’une pneumopathie infiltrante diffuse (PID) parfois sévère, d’une hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) ou d’une atteinte cardiaque primitive, qui représentent les 3 premières causes de mortalité au cours de la sclérodermie. Autre atteinte de mauvais pronostic, la crise rénale sclérodermique est rare (moins de 5% des cas). L’extension cutanée est aussi un paramètre important, les formes cutanées diffuses ayant un moins bon pronostic.

La sclérodermie touche avec prédilection les femmes (3 à 8 femmes pour 1 homme). Il existe un pic de fréquence entre 45 et 64 ans.

le Protocole National de Diagnostic et de Soins

L’objectif de ce Protocole National de Diagnostic et de Soins (PNDS) est d’expliciter pour les professionnels de santé la prise en charge optimale et le parcours de soins d’un patient pris en charge comme affection de longue durée au titre de l’ALD 21

A télécharger :

Protocole national de soins mise à jour 2022

Podcast PNDS

Pour écouter le PNDS (Protocole National de Diagnostic et de Soins) en totalité ou par chapitre, rendez-vous sur le site Fai²r :

Anciennement appelée CREST, la sclérodermie systémique limitée présente des symptômes très proches de la forme diffuse :

  • Syndrome de Raynaud
  • Reflux gastro-œsophagien (RGO)
  • Sclérose du derme (peu à moyennement prononcée)
  • Télangiesctasies
  • Calcinoses
  • et parfois fibrose pulmonaire

Les formes limitées peuvent parfois évoluer et toucher d’autres organes comme les intestins, les reins.

On dit souvent que la sclérodermie est une maladie polymorphe : elle va s’exprimer et évoluer différemment sur le plan de l’atteinte cutanée et organique sur chaque personne.

La sclérose cutanée ne remonte pas au-dessus des coudes et des genoux.

La sclérose cutanée remonte au-dessus des coudes et/ou des genoux.

C’est la forme la plus grave de la maladie. Elle débute généralement par deux symptômes très précoces, pouvant précéder la sclérodermie de plusieurs années  :

  • le reflux gastro-œsophagien (RGO)
  • le syndrome de Raynaud

Le phénomène de sclérose, c’est-à-dire d’infiltration ou de durcissement des tissus, débute dans la majorité des cas aux extrémités du corps (mains ou plus rarement pieds). On parle de sclérodactylie.

La peau devient tendue, raide, comme adhérente aux plans plus profonds, réduisant ainsi la mobilité des doigts et des différentes articulations. De plus, la peau est fragilisée et donc rendue vulnérable vis-à-vis des traumatismes de la vie quotidienne, surtout au niveau des mains.

L’évolution lente de la maladie va ensuite conduire à une extension de la sclérose de la peau : atteinte progressive des avant-bras, mais aussi des lèvres avec gêne à l’ouverture de la bouche et gêne à la mastication. Le visage peut prendre un aspect de masque. La peau du front devient lisse, cireuse, les plis s’effacent et les expressions sont figées.

Mais comme nous l’avons déjà signalé, la sclérose ne se limite pas à l’enveloppe du corps (la peau), elle atteint également :

  • le tube digestif, avec le risque de brûlures gastriques, de régurgitations (atteinte de l’oesophage), voire troubles du transit (constipation) dans le cadre d’une atteinte intestinale
  • les poumons, avec risque d’essoufflement même au repos
  • le coeur
  • les reins (insuffisance rénale, avec ou sans hypertension artérielle).

C’est pourquoi l’on parle de sclérodermie systémique diffuse.

En l’absence de sclérose cutanée.

Il s’agit d’une autre maladie, localisée à la peau, sans complications viscérales autre qu’une éventuelle atteinte osseuse sous la plaque de sclérose cutanée, quand celle-ci est profonde et survient en période de croissance osseuse (donc chez les enfants).

On y note presque exclusivement une atteinte de la peau, qui se sclérose et peut se présenter sous différentes formes :

  • une ou plusieurs plaques pouvant siéger n’importe où sur le corps et appelées « Morphées »
  • plusieurs petites taches brillantes, assez petites, sur le cou, le décolleté et le thorax (sclérodermie en gouttes) une ou plusieurs bandes, plus ou moins larges appelées sclérodermie linéaire ou en bandes.
  • chez l’enfant : les plaques ont ici une forme souvent linéaire. Sur le cuir chevelu et le front, on parle de sclérodermie “en coup de sabre”. L’évolution est imprévisible : extension de la taille ou en nombre des plaques, ou stabilisation avec atrophie séquellaire secondaire (pigmentée ou dépigmentée).

Dans toutes les formes localisées, les poils ou les cheveux situés sous la plaque disparaissent, la sensibilité disparaît et la sécrétion sudorale diminue ou disparaît.

Les organes internes ne sont qu’à de très rares exceptions touchés. Seuls les muscles des membres peuvent être atteints dans la forme de sclérodermie localisée dite atrophique de Degos, avec le risque, à terme, de difficultés de locomotion.

Mieux comprendre les mécanismes en jeu dans la maladie pour envisager des thérapeutiques plus efficaces et adaptées à chaque patient.

Qu’est ce que la physiopathologie d’une maladie ?

La physiopathologie d’une maladie est l’étude des mécanismes biologiques qui expliquent les signes cliniques et les manifestations de cette maladie. Ceci implique une compréhension toujours meilleure du fonctionnement habituel du corps humain et des éléments inhabituels ou pathologiques qui surviennent au cours des maladies.
La sclérodermie systémique est une maladie complexe dont les mécanismes sont encore mal connus. La compréhension de ces mécanismes a, néanmoins, fait de nombreux progrès au cours des dernières années.

Quels sont les acteurs cellulaires participant à la sclérodermie ?

Le corps humain est composé d’éléments microscopiques appelés cellules qui s’imbriquent afin de composer des tissus charpentant les organes. Chaque type de cellules occupe une fonction différente permettant au corps humain de s’adapter et de se développer avec l’âge. Le corps humain est ainsi en perpétuel renouvellement. On pourrait imager cette idée en comparant le corps humain au centre ville d’une grande agglomération toujours en travaux afin de s’adapter aux avancées de son époque.

Comme un chantier, le corps humain possède donc des cellules ouvrières qui participent à la construction des organes. Ces cellules sont appelées les FIBROBLASTES et déposent, non pas des briques ou du ciment, mais leur équivalent dans l’organisme, que sont les fibres de COLLAGÈNE qui consolident et structurent les tissus.

A l’image d’une agglomération possédant un système de circulation automobile dense et régulé, le corps humain possède un système circulatoire que sont les vaisseaux sanguins et dont les cellules principales sont les CELLULES ENDOTHÉLIALES qui soutiennent les globules rouges dans leur circulation au sein des vaisseaux qu’elles structurent.

Enfin, toute agglomération possède un système de force de l’ordre, police ou gendarmerie, protégeant les habitants et régulant ou sanctionnant les automobilistes ou citoyens dont la conduite serait inadaptée. De la même manière, le corps humain est doté d’un système de force de l’ordre, appelé SYSTÈME IMMUNITAIRE, composé de cellules telles que les lymphocytes, les monocytes-macrophages ou les polynucléaires, autrement appelés globules blancs et qui participent à la défense et à la régulation des autres cellules de l’organisme.

Les cellules fibroblastes, les cellules endothéliales et les cellules immunitaires sont des acteurs clés de la physiopathologie de la sclérodermie systémique.

Le fonctionnement du corps humain peut être comparé à celui d’une ville en travaux : avec des ouvriers du bâtiment qui construisent appelés fibroblastes, le système immunitaire qui régule comme la gendarmerie et la circulation automobile qui peut être comparée à la circulation sanguine structurée par les cellules endothéliales.

La sclérodermie : maladie où intervient la communication entre les cellules

Lors de travaux en centre ville, les ouvriers du bâtiment, les automobilistes et les forces de l’ordre communiquent à l’aide de signaux, tels que des panneaux de signalisations ou des appels de phares, afin d’organiser un trafic fluide et ordonné permettant une circulation automobile la moins perturbée possible et un avancement efficace des travaux. Les cellules du corps humains possèdent également un système de communication ou de signalisation basé sur des messages, notamment appelés CYTOKINES, qu’elles s’envoient les unes aux autres et qu’elles réceptionnent à l’aide de « boîtes aux lettres » appelées RÉCEPTEURS.

La recherche fondamentale a permis de mettre en évidence qu’au cours de la sclérodermie, certains messages étaient exprimés en trop grand nombre, ou étaient erronés. Ainsi un excès de messages, tels que la CYTOKINE IL-6, émanant du SYSTÈME IMMUNITAIRE aboutit à une sur-activation de celui-ci appelée INFLAMMATION. Certains messages d’inflammation peuvent parvenir aux fibroblastes qui se mettent alors à fabriquer une trop grande quantité de COLLAGÈNE aboutissant au durcissement des tissus appelé FIBROSE et pouvant notamment toucher la peau ou le poumon. D’autres messages qui ne sont pas forcément de l’inflammation peuvent aussi activer les FIBROBLASTES et augmenter la fibrose. Le système circulatoire des CELLULES ENDOTHÉLIALES peut lui aussi recevoir ou émettre des messages erronés ou en excès, aboutissant à une mauvaise circulation sanguine ; le phénomène de Raynaud en est l’une des manifestations. Un des messages des CELLULES ENDOTHÉLIALES en excès dans la sclérodermie, est l’ENDOTHÉLINE qui aboutit, lorsqu’elle se fixe à son récepteur, à un resserrement des vaisseaux et donc à une mauvaise circulation.

Certains messages d’inflammation issus du SYSTÈME IMMUNITAIRE revêtent la forme d’anticorps qui peuvent eux aussi activer les récepteurs de l’endothéline (anticorps anti-récepteur de l’endothéline) et donc aboutir au resserrement des vaisseaux. C’est notamment la présence de ces anticorps dirigés contre des récepteurs de cellules du soi qui fait dire que la sclérodermie est une maladie AUTO-IMMUNE.

La sclérodermie est caractérisée par un excès de certains messages ou par des messages inadaptés : un excès de messages de construction adressés aux fibroblastes aboutit à la fibrose par accumulation de collagène, un excès de messages du système immunitaire abouti à son emballement appelé inflammation, un excès de messages circulatoires anormaux aboutit à une activation des cellules endothéliales qui nuisent à une bonne circulation sanguine, se manifestant par le phénomène de Raynaud ou des ulcères digitaux.

À chaque patient « sa » sclérodermie : l’enjeu d’un traitement ciblé

Les messages qui sont en excès peuvent varier d’un patient à l’autre au cours de la sclérodermie. Certains patients auront surtout un excès de messages de l’inflammation associée à une fibrose importante et d’autres, un excès de messages ayant pour conséquence une moins bonne circulation. Certains auront parfois les deux. C’est la raison pour laquelle PLUSIEURS TYPES DE SCLÉRODERMIES sont décrits, tels que la sclérodermie avec atteinte cutanée diffuse où la fibrose prédomine, ou bien, la sclérodermie avec atteinte cutanée limitée où les messages vasculaires en excès sont au premier plan.

Au fur et à mesure que la recherche progresse, de nouveaux messages et de nouveaux récepteurs sont découverts et il est donc probable que la manière dont on classe les différentes formes de sclérodermies sera amenée à évoluer en fonction des nouveaux types de messages découverts et de l’importance qu’ils occupent dans la physiopathologie de la maladie.

La meilleure compréhension de ces messages et des récepteurs impliqués dans la maladie laisse entrevoir la possibilité de traitement bloquant spécifiquement ces messages. Ainsi, par exemple, le récepteur de L’ENDOTHÉLINE peut être bloqué par certains médicaments tels que le bosentan, qui sont donc utiles notamment chez les patients présentant une perturbation importante de la circulation à l’origine d’ULCÈRES DIGITAUX. Au contraire l’utilisation de traitements bloquant le SYSTÈME IMMUNITAIRE, appelés IMMUNO-SUPPRESSEURS ne se justifie que chez les patients présentant un excès de messages de l’INFLAMMATION.

Ainsi chaque patient a « sa » sclérodermie et, en fonction du déséquilibre des messages émis, un traitement pertinent est donc proposé au cas par cas.

Une meilleure compréhension de la maladie pour une meilleure approche thérapeutique

La connaissance de plus en plus fine des MESSAGES ET RÉCEPTEURS en jeu au cours de la sclérodermie permet donc de cibler de manière de plus en plus juste les messages à bloquer pour chaque patient, justifiant de mettre au point des médicaments toujours plus précis dans leur ciblage. C’est notamment ce qui est appelé IMMUNOTHÉRAPIE CIBLÉE, qui pourrait offrir de nouvelles perspectives thérapeutiques dans la sclérodermie. Ainsi, même si la cause de la sclérodermie est encore mal connue, probablement de par son origine multifactorielle, la meilleure connaissance des mécanismes qui caractérisent la maladie laisse entrevoir des avancées thérapeutiques.

C’est la raison pour laquelle l’une des plus grandes revues scientifiques médicales au monde, « The Lancet », conclut en ces termes un éditorial sur la sclérodermie dans son numéro d’octobre 2017: « ces nouvelles recherches en cours [sur la sclérodermie] invitent plus que jamais à l’optimisme * ».

* Systemic sclerosis: advances and prospects ; « With exciting ongoing research, there is much cause for optimism. » The Lancet, Editorial, Vol 390 October 7, 2017

Les auteurs de cet article

Alain Lescoat, Valérie Lecureur, Claire Cazalets, Patrick Jégo.

Alain Lescoat, Claire Cazalets et Patrick Jégo sont médecins dans le service de Médecine Interne du CHU de Rennes.

Valérie Lecureur est enseignante-chercheur à l’Institut de recherche en Santé, Environnement et Travail (IRSET) de Rennes et s’intéresse notamment à l’impact de la silice cristalline sur la santé humaine et à ses liens avec la sclérodermie systémique.

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